samedi 3 décembre 2005

Les Bouffeurs d'Art II

Ce qu’il faut, c’est vendre. Toutes les structures durables de la société occidentale dirigent, directement ou non, la volition de l’individu vers un but précis qui est la consommation de produits et de services. Ce qu’on appelle aujourd’hui « œuvre d’art » n’est qu’une des différentes options qui s’offrent au consommateur averti et sur-averti. Les avertissements, en effet, ne cessent de lui suggérer ce qui est consommable et devrait être consommé. L’esthétique, tout comme le talent voire le génie, est jugée — la plupart du temps a posteriori — en fonction de profits potentiels ou réels. La propension à l’art consommable comme fait historique est défendable, mais non moins pathétique. Le mécénat d’autrefois conserve dans son fondement même une reconnaissance de la valeur du créateur. Dans toutes ses formes, de la plus « noble » (musée, exposition, édition, concert, etc.) à la plus vulgaire (téléroman, best-seller, liquidation de marché au puce, etc.), la marchandisation contemporaine de l’œuvre d’art et du créateur est asservissante et soutenue à bout de bras par les aliénés du pouvoir, du succès et de l’argent. Toute œuvre d’art est aujourd’hui assimilée et avalée par la masse de production de gadgets consommables et jetables. Un recueil de poèmes de Baudelaire, une toile de Fragonard ou un disque de Mozart sont aujourd’hui considérés au même titre et sur la même échelle qu’un séchoir à cheveux ou un laminé de Marilyn Monroe. La notion de plus-value en est venue à dicter l’indexation des artistes — les livres de cotes des peintres en étant l’exemple limite — où les spéculateurs ne sont pas ceux à qui devraient être destinés les œuvres d’art, esprits de goût et de sensibilité, mais les bonzes de l’économie de marché dont le pouvoir discrétionnaire est tout entier voué au culte de la majoration du capital investi.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire