mercredi 16 novembre 2005

Moi, le fif bourgeois, ami de Pierre Karl...

Je dirai simplement que […] ceux qui aiment la liberté doivent la reconnaître même aux ennemis de la liberté, et que la liberté d’expression soit telle qu’il soit permis de l’attaquer. Car la liberté n’est pas seulement un principe, c’est une pratique […]. » Louis Martin-Chauffier, L’écrivain et la liberté. « Donner des “droits” à des populations incultes et misérables au lieu de les éduquer dans l’exigence toujours maintenue de la liberté, voilà comment les démocraties occidentales ont décidé d’en finir avec elles-mêmes. » Maurice G. Dantec, Le théâtre des opérations. Journal métaphysique et polémique 1999.

J’ai écrit en août 2004, au plus fort de l’agitation autour de « l’affaire Jeff Fillion » mais avant « l’affaire Chiasson », un article explosif qui, après sa parution dans le Voir Montréal, le Voir Québec une semaine plus tard « à la demande générale » et dans divers forums, n’a laissé personne indifférent. Du côté pro-Choi, j’ai essuyé, avec amusement je dois l’avouer, des charges aussi nombreuses qu’inégales : quelques répliques étaient intelligentes, lucides et pertinentes et, comme je n’ai jamais prétendu à la Vérité, j’en ai pris bonne note. Mais la plupart était de vulgaires attaques puériles qui reflétaient précisément l’indigence que je dénonçais dans mon brûlot. Que disaient ces supposées répliques ? D’abord, que j’étais un « frustré de la vie ». Si je suis frustré, ce n’est pas de la vie, mais bien du nivellement par le bas que l’on présente comme de l’héroïsme. D’ailleurs, je dirais plutôt que je suis déçu, amèrement, car le pathétisme, loin d’attiser ma colère, a tendance à m’inspirer des sentiments tels que la déception, la compassion et la pitié. Certains parlaient de mon arrogance, avant d’étaler leurs diplômes universitaires comme une assurance contre la stupidité. Contrairement à eux, je ne crois pas qu’être passé par l’usine à diplômes prouve quoi que ce soit, sauf qu’on aura des dettes pour dix ans. Et si je n’envisage jamais de juger les gens en fonction de leur titre ou de leur rang social, je les jauge toujours selon leurs actions et leurs opinions. Je connais beaucoup de PH.D. insipides et bornés avec qui je ne perdrais pas une seule heure de ma vie et, en contrepartie, je fréquente avec un plaisir toujours renouvelé des personnes intelligentes et avisés qui n’ont pas terminé leur secondaire. Ensuite, plusieurs supposaient que j’étendais ma culture parce que j’employais des « mots recherchés » et que je méprisais ceux qui s’expriment autrement. À ce que je sache, utiliser les mots que l’on connaît est un phénomène tout ce qu’il y a de plus banal : on ne puise toujours, pour s’exprimer, que dans son vocabulaire et sa verve. Ceux qui écrivaient — c’est un bien grand verbe pour si peu — ces répliques faisaient de même avec leurs fragiles tournures de phrases et leurs clichés éculés (« la culture, c’est comme la confiture… »). En outre, j’aurais bien aimé qu’on m’indique tous ces « mots recherchés » qui les ont tant désorientés… J’admets volontiers que « béotien » n’est pas courant, mais un bon dictionnaire confirmera qu’il n’y avait guère de mots plus justes pour exprimer précisément ma pensée ; « colon », « niaiseux » ou « épas » eurent été compris par eux, mais c’eut été du même coup sacrifier à la précision et au style, ce que je ne ferai jamais pour soulager la conscience des philistins (sic) ! Contrairement à ce que ces personnes proclamaient, je ne méprise pas ceux qui parlent ou écrivent dans les limites de leur manque : je les plains. Que c’est triste, en effet, de ne pouvoir clairement exprimer ses idées ! Mais j’ai effectivement en horreur ceux qui considèrent qu’éloquence est synonyme de pédantisme et que le baragouinage est un témoignage de sobriété et de modestie. Pour moi, parler franglais, joual ou tout simplement mal n’est ni « cool » ni « débile-écœurant ». Comparer un texte d’opinion où la langue est maîtrisée à une partie de scrabble où « c'est ceux qui trouvent les mots les plus longs qui gagnent et qui sont les plus intelligents » est un exemple sinistre de nivellement par le bas : mieux vaut sans doute se vautrer dans la centaine de mots connus dont on dispose sans jamais chercher à s’enrichir autrement qu’en ajoutant des zéros à son compte de banque, n’est-ce pas ? Enfin, ceux que je méprise véritablement, ce sont les ennemis de la culture, les porteurs de bannières à la mode et les incultes qui sont fiers de l’être, car si on enlève le Sapiens de l’Homo, il ne reste malheureusement que le singe. Fait cocasse à mentionner : je n’ai jamais été autant travesti que dans les mois qui ont suivi la parution de l’article. D’aucuns m’ont cru journaliste à la solde de l’empire Québécor, ce qui a bien fait rire mes ami(e)s qui savent que la seule façon agréable de faire de l’argent que je connaisse et que j’approuve est de l’imprimer. Quelques-uns m’ont traité de « fif », sans doute parce que je m’irritais contre les propos homophobes de leur gourou miniature, ce qui a fait sourire ma blonde (et sans doute mes ex !) qui sait combien je suis porté sur la chose. D’autres ont supposé qu’il m’était facile de critiquer la « nouvelle pensée de la génération X », puisque je devais être un gros bonnet avec un quelconque poste bien rémunéré qui se moquait de « ceux qui travaillent pour de vrai », ce qui a fait bien sûr s’esclaffer mon huissier qui en a presque échappé ma télé. Toutes ces insinuations m’ont permis de me dérider un brin et de confirmer que les accusations non fondées étaient bien une mode chez ces sectateurs. Avec le recul, je récrirais aujourd’hui exactement la même chose, sans changer une virgule à mon texte. Toutefois, je prendrais soin de mettre en caractères gras la première phrase du dernier paragraphe de mon texte : « […] il est dommage qu'une instance gouvernementale ait dû censurer de force […] », car il semble évident que les anti-CHOI ne l’ont pas lue. Les avoir écoutés, je serais devenu le porte parole de leur campagne pour faire fermer CHOI FM. Radio-Canada et les Francs-Tireurs m’ont même personnellement contacté pour que je porte la bannière anti-CHOI dans les confrontations publiques qu’ils organisaient respectivement au Musée de la Civilisation et au Bar L’Inox. Pour justifier mon refus catégorique, j’ai dû m’expliquer assez longuement sur l’essence de mon article qui n’était pas contre CHOI, ni même contre Jeff Fillion et encore moins pour la censure, mais bien une éruption volcanique contre la pauvreté culturelle que l’on nous impose partout — surtout à l’école ! — et qui ne peut mener qu’à de dramatiques dérapages sociaux et ce, à tous les niveaux. Je crois qu’ils ont été déçus de voir que je ne voulais pas jouer le jeu, mais c’est bien mal me connaître, car je ne joue depuis toujours qu’une seule partie : la mienne.

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