mercredi 3 janvier 2007

Vivre endort

Ainsi, ce serait ceux qui ont la vie la plus stable, la routine la mieux rangée, l’existence la plus pétrie, qui seraient dans le vrai. Ceux qui marchent d'aplomb, ceux qui pensent droit, ceux qui dorment bien. Ceux qui remplissent les cases, ceux qui chérissent les normes, ceux qui adorent les chaînes. Ceux qui louent les dieux, ceux qui ne se battent pas, ceux qui ne tombent pas à genoux. Ceux qui écoutent, ceux qui leur parlent, ceux qui organisent les échanges. Propriétaires de vérité, de théories fondées, d’idées vendues. Verseurs continuels d’eau dans le vin.
Les autres, gratteurs de surface voulant percer le superficiel, ruminants d’idées profondes et lourdes, propriétaires de vie et de temps, gros mangeurs de remises en question, avaleurs tout rond de refus global, rejetons par l'esprit de fous, de suicidaires, de crucifiés, de lapidés, d’internés, de rejetés, d’humiliés et de bannis. Locataires perpétuels de lieux de réflexion, incendiaires de lieux communs, pyromanes de feu sacré, périlleux et souvent mortel. Fleurs incapables de s’ouvrir parfaitement, mais toujours tournées vers le possible et le sensible. Buveurs invétérés d’eau de vie.
Combien, ayant été à vingt ans des esprits allumés, finissent subrepticement par se tenir fiers et incorruptibles parmi les premiers, ventres ronds, tempes grisonnantes, montres en main ? Si « travailler fatigue », comme le prétendait Pavese, la plupart du temps, il n’est plus possible d’en douter, vivre endort.

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