lundi 28 mai 2007

Extraits du "Caïn" de Lord Byron

CAÏN. (solus) : --- La vie se résume donc
À cela ! Travailler dur ! Et pour quelle raison devrais-je m'échiner au travail ? Parce que
Mon père s'est avéré incapable de conserver sa place en Éden ?
Quelle fut ma part à moi là-dedans ? Je n'étais pas né,
Et ne cherchais pas à l'être. Je n'aime pas davantage l'état
Auquel cette naissance m'a conduit. Pourquoi a-t-il
Cédé au serpent et à la femme ? Ou,
Ce faisant, pourquoi souffrir ? Qu'y avait-il là de si terrible ?
L'arbre a bien été planté, pourquoi pas pour lui ?
Sinon, pour quelle raison le placer tout à côté de l'arbre,
À l'endroit même où il a poussé, d'une beauté
Sans égale ? À toutes ces questions,
Invariablement la même réponse "c'était Sa volonté,
Et Il est bon". Qu'est-ce que j'en sais ? Parce
Qu'Il est tout-puissant, est-il nécessairement toute bonté ?
Je ne juge que par les fruits, ô combien amers,
Auxquels je dois goûter pour une faute qui m'est étrangère.
(p.22)
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CAÏN. --- Je vis,
Mais je vis pour mourir. Et, alors que je respire, je ne vois rien
Qui rende la mort haïssable, sinon un attachement innée,
Un instinct vital, aussi détestable qu'invincible.
Je l'abhorre autant que je me méprise,
Et reste pourtant incapable de le dominer...
Ainsi, je vis. Si j'avais pu ne jamais vivre !
(p. 24-25)
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CAÏN. --- Êtes-vous heureux ?
LUCIFER. --- Nous sommes puissants.
CAÏN. --- Mais êtes-vous heureux ?
LUCIFER. --- Non, et toi ?
CAÏN. --- Et comment le serais-je ? Regarde-moi !
LUCIFER. --- Pauvre condensé d'argile !
Tu te prétends malheureux ? Toi ?
CAÏN. --- Je le suis. Et toi, avec toute ta puissance, qu'es-tu donc ?
LUCIFER. --- Quelqu'un qui voulut être ce qui t'a créé, mais
Ne t'aurait pas créé tel que tu es.
CAÏN. --- Ah !
Tu ressembles presque à un dieu, et...
LUCIFER. --- ce n'est pas le cas.
Ayant échoué à être un dieu, je ne voudrais être rien d'autre
Que ce que je suis. Il a vaincu, eh bien qu'il règne !
CAÏN. --- Qui ?
LUCIFER. --- Le Créateur de ton père, et de la terre.
CAÏN. --- Et du ciel,
Et de tout ce qui existe en eux, si j'en crois
Les chants des séraphins et les paroles de mon père.
LUCIFER. --- Ils disent ce qu'ils doivent dire et chanter,
Sous peine d'être ce que je suis et ce que tu es,
À la fois des esprits et des hommes.
CAÏN. --- C'est-à-dire ?
LUCIFER. --- Des âmes qui osent user de leur immortalité.
Des âmes qui osent affronter le regard éternel
Du tyran Tout-puissant, et lui dire que
Le mal qui vient de lui n'est pas le bien ! S'il est notre Créateur
Comme il le prétend, je l'ignore et n'en crois rien,
Mais si vraiment il nous a faits, il ne peut nous défaire :
Nous sommes immortels ! Il nous aurait même rendus tels
Dans le seul but de nous torturer : libre à lui ! Il est grand
Mais dans sa grandeur il n'est pas plus heureux que
Nous dans notre guerre ! La Bonté ne créerait pas
Le Mal. Or, qu'a-t-il fait d'autre ? Qu'il siège
Sur son trône, vaste et solitaire,
Et multiplie des mondes pour soulager
Son existence infinie et sa solitude exclusive
Que l'éternité rend si pesantes !
Qu'il amasse orbe sur orbe, il est seul,
Indéfini, indissoluble tyran !
[...]
(p. 26-28)
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CAÏN. : --- Pourquoi est-ce que j'existe ?
Triste, pourquoi l'es-tu, toi ? Pourquoi tous les êtres le sont-ils ?
Celui qui nous a faits l'est certainement aussi, puisqu'il est le créateur
D'êtres malheureux ! Engendrer la destruction
Ne saurait être l'oeuvre du bonheur,
Et pourtant mon père Le dit tout-puissant.
Pourquoi alors le mal existe-t-il, s'Il est bon ? J'ai posé
Cette question à mon père. Il a dit
Que ce n'était qu'un chemin
vers le bien. Quel bien étrange, celui qui doit naître
De son ennemi mortel. Dernièrement, j'ai vu
Un agneau se faire mordre par un reptile : la pauvre bête
Gisait à terre, la bave aux lèvres, sous les bêlements
Vains et pitoyables de sa mère affolée.
Mon père a cueilli des herbes, les a appliquées sur
La blessure. Peu à peu, la pauvre créature sans défense
A repris sa vie insouciante et s'est levée pour téter
Le lait de sa mère qui se tenait, toute tremblante, au-dessus d'elle,
Léchant avec ardeur ses membres dont la force renaissait
"Vois, mon fils, m'a dit Adam, comme du mal
Jaillit le bien !"
LUCIFER. --- Qu'as-tu répondu ?
CAÏN. --- Rien, car
C'est mon père. Mais je pensais que la simple
Absence de morsure aurait offert à l'animal
Un sort plus enviable
Que le retour à sa modeste vie
Au prix d'ineffables souffrances,
Même si les antidotes les ont apaisées.
(p. 94-95)
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LUCIFER. --- Je te plains d'aimer ce qui doit périr un jour.
CAÏN. --- Moi je te plains de ne rien aimer.
(p. 98)
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CAÏN. --- Je ne construirai plus d'autel,
Ni n'en tolérerai plus aucun.
ABEL. (se levant) --- Caïn ! Quelle est ton intention ?
CAÏN. --- Détruire ce vil flatteur des nuages,
D'où s'élèvent, enfumées, tes prières monotones :
Ton autel, baigné du sang d'agneaux et de chevreaux,
Abreuvés de lait pour finir égorgés dans le sang.
ABEL. (s'interposant) --- Non, je te l'interdis : n'ajoute pas l'impiété des actes à celle
Des mots ! Que cet autel reste dressé : il est maintenant sanctifié
Pour le plaisir immortel de Jehovah,
Dans son acceptation des victimes.
CAÏN. --- Son acceptation !
Son plaisir ! Quel plaisir suprême
Peut donc lui offrir le spectacle
Des vapeurs de chair brûlée et de sang fumant ?
Celui de la douleur des mères plaintives qui
Appellent encore leurs enfnats morts ? Ou celui des tourments
Infligés par ton pieux couteau aux victimes désespérément ignorantes ?
[...]
(p. 129-130)
Lord Byron, Caïn, Paris, Allia, 2004.

2 commentaires:

  1. Merci pour cette ôde à la cohérence et à l'innocence !

    La douleur serait l'abreuvoir de Dieu :(

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