samedi 13 septembre 2008

Tout ce que le chien mange

Une voix libre, si morose qu'elle soit, est toujours libératrice. Les voix libératrices ne sont pas les voix apaisantes, les voix rassurantes.

Georges Bernanos, La liberté, pour quoi faire ?

J’ai appris récemment par un ami, moi qui ne lis jamais de journaux, qu’une collaboratrice spéciale de La Presse, Jade Bérubé, a écrit sur L’Attente. C’était le 20 juillet dernier et j’ai manqué l’article, comme tous les autres qui sont écrits dans les journaux depuis environ 10 ans. Curieux, je suis allé voir sur le Web dans les archives de la Presse.

Je lis. La première phrase dit tout : le livre est présenté (et sans doute compris) comme un « petit recueil de pensées » (sic). Je relis. Je reste sur ma faim, car il me semble que la collaboratrice spéciale écrit un peu pour se rassurer et sans doute beaucoup pour préserver son « expectative bienheureuse ». Je suis content pour elle : le bonheur est à portée de main, ça confirme ce que l’on dit partout et dans Le Secret.

La suite est décevante : pas un mot sur le style, sur les images, sur les émotions suscitées… Bref, pas un mot sur ce qui fait un écrivain. Après une plate énumération de quelques tableaux tirés au hasard de sa lecture et de sa compréhension (où est-elle allée chercher cet « homme qui prie sur son banc d’église » ?), la critique littéraire, qui est aussi auteure publiée deux fois chez Marchand de feuilles - il faudrait que je m’y mette, moi aussi, à me faire voir dans le cercle des gensdelettes -, me cite et me tronque. Ma plume perd des plumes, mes mots leurs lettres, mon sens son essence. Se voulant cynique, elle suppose que je « traite (involontairement sans doute) davantage de la vacuité de la vie plutôt que de l’attente en elle-même ». Amen. Va pour la vacuité. Mais, s’il n’y a rien (le terme vacuité est de toute évidence employé par elle au sens didactique et non pas au sens bouddhique) et que mon personnage se tient dans ce rien en toute lucidité, l’attente n’est-elle pas inévitable ?

Je « tourne en boucle » encore une fois. Ce n’est pas pour rien que le palindrome de Guy Debord me touche autant (In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni – Nous tournons dans la nuit et sommes consumés par le feu). Il est vrai que je pourrais tenter de me convaincre que « dans le bruit de la chute, il y a un Dieu », comme l’écrit Jade Bérubé dans son recueil de nouvelles Le Rire des poissons. Touchant, mais il faut pour cela avoir des oreilles empreintes de religiosité, ce qui me fait défaut. Néanmoins, l’idée me plaît, j’en parlerai à ma mère et à mon psy.

Je le dis donc ici sans réserves : tous ceux qui pensent qu’il y a un Dieu dans le bruit de la chute n’ont aucun intérêt à lire ce que j’ai écrit, ce que j’écris et ce que j’écrirai.

Pour ma part, le seul « bruit de chute » qui m’inspire quelque réflexion divine s’apparente à celle d’un Lucifer hurlant quand il fut chassé et tomba des cieux. Par ailleurs, je me méfie des gens qui écrivent « Dieu » avec une majuscule : j’ai toujours peur qu’ils ne profitent d’un moment d’inattention de ma part pour allumer un bûcher sous mon lit ou pour m’étouffer avec une étole. Toutefois, à l’instar de la critique-écrivaine, je pense que l’approche de mon texte nécessite un certain contact préalable avec la mélancolie ou, je préfère le dire ainsi, avec la tragédie de vivre; ce qui ne veut en aucun cas dire que la vie (ou mon texte) soit triste. Tragédie n’est pas tristesse.

Sa conclusion est malgré elle assez proche de ce que je pense moi-même. Elle exagère sans doute un peu en parlant d’« obscur délice », mais il est vrai que je préfère viscéralement provoquer la vérité troublante ou consternante plutôt que de chercher continuellement des dieux et des espérances que l’existence dément avec une fidélité que je n’ai retrouvée nulle part ailleurs.

Cela dit, je ne suis pas contrarié. Cette réflexion a été écrite avec un grand sourire et même quelques éclats de rire joviaux. En outre, la critique n’est même pas négative. Si mon objectif premier, dans la vie et l’écriture, était d’être compris et louangé, je ne vivrais pas comme je vis, ni n’écrirais ce que j’écris. Il s’agit d’embrasement, non de désir de plaire. Évidemment, mes textes, une fois publiés, appartiennent aux lecteurs qui sont en droit d’y trouver ce qu’ils veulent. Mais je ne suis par conséquent pas responsable de l’interprétation qu’on en fait; je n’assume que ce que, moi, j’ai voulu y mettre. Le reste appartient à la conjecture, la même qui fait des écrits de Nietzsche un préambule au nazisme ou de l’évangile une justification de l’intolérance. De ce point de vue, prendre la critique artistique au pied de la lettre, ce serait oublier le proverbe du philosophe Alain qui dit que tout ce que le chien mange fait toujours et seulement de la viande de chien.

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