mardi 10 mars 2009

L'archange aux pieds fourchus

Relu presque d'un trait L'archange aux pieds fourchus de Gabriel Matzneff, journal qu'il a tenu en 1963-1964. C'est dans son journal (et parfois dans ses essais) que cet écrivain français d'origine russe enflamme la pensée. Ses romans sont malheureusement imbuvables et on n'y trouve pas la fougue et le talent pour les tournures qui frappent tant ici. Voici quelques extraits : "Il ne faut jamais, dans une société, sous-estimer l'influence qui exercent les imbéciles." Je ne les prends jamais à la légère. "--- Les imbéciles sont de tous les temps. --- Oui, mais ceux d'autrefois ont la courtoisie d'être morts, au lieu que ceux d'aujourd'hui sont insolemment vivants, et vociférants, en particulier grâce à ces instruments du diable que sont le micro, le haut-parleur, la radio." C'est encore plus vrai aujourd'hui, trente ans plus tard. Particulièrement à Québec. Et Internet a ouvert la voie à une toute nouvelle armée d'imbéciles qui répètent inlassablement ce qu'ils ont saisi de l'éditorial de leur journal, la seule lecture qu'ils jugent nécessaire. "Tu as seize ans. Les dix années à venir sont pour toi décisives. Lorsque tu seras un vieux monsieur de vingt-six ans, les jeux seront faits. Ou bien tu seras un esprit libre, ou bien tu seras un petit-bourgeois, habité par l'âpreté du gain, l'arrivisme, la vanité sociale et les soucis médiocres." J'ai lu ce passage à ma fille qui va avoir quinze ans bientôt. Elle m'a regardé avec un sourire dont je n'ai pu percer le sens véritable. L'avenir nous dira ce qu'il en sera. Le présent, avenir d'hier, me l'a déjà dit pour plusieurs... "Il faut se méfier des gamins qui acceptent sans révolte la férule des adultes, la morale des adultes, la loi des adultes, l'ennui des adultes. Les petits garçons bien sages sont peut-être la joie de leurs mamans. Ils sont surtout de la graine d'esclaves. Toute révolte adolescente, quelle que soit sa forme, est bonne en soi, car elle témoigne un refus de l'ordre bourgeois. J'aime mieux les galopins déchaînés que les inconditionnels moutonniers. De ceux-ci nous n'avons rien à attendre, au lieu qu'avec ceux-là nous pourrons un jour faire sauter la baraque." Là, je suis resté sans voix. C'est écrire on ne peut plus clairement ce que je pense viscéralement. Ces jeunes qui obéissent sans sourciller me font pitié. On dirait des adultes miniatures déjà enfermés dans des esprits rationnels constamment ballotés entre peurs et désirs, faisant ce qu'il faut, sans jamais vraiment savoir pourquoi. Les pires de tous étant ceux qui reproduisent par la force de l'autorité un modèle adulte qui a lamentablement échoué... La fierté des parents venant souvent de ce que leurs enfants suivent le chemin de soumission qui les a tant esquintés jadis. "Dès que je pénètre dans l'étude, je me sens pris au piège, comme à la caserne le jour de mon incorporation. Ici, cesse toute plaisanterie. Mes amours, mon manuscrit en chantier, la piscine, ce n'est pas sérieux. Le réel, c'est cette sordide étude d'avoués, ces clercs au dos voûté, ces dossiers, cette grisaille. La société, c'est cela. Le sentiment étouffant, horrible, qu'ils me tiennent. Qui, ils ? Les gens, les autres, bref : l'ennemi. Je ne suis heureux que dans la fuite. J'aurais passé ma vie à fuir : fuir les êtres, les problèmes, les obligations, les responsabilités, les ennuis. Et lorsque d'aventure je suis coincé, c'est la panique." Ah ! Ces hommes qui n'arrivent pas à faire ce qu'il faut !

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