jeudi 10 juin 2010

La belle et les bêtes

Quand j’ai lu la nouvelle sur ce petit poupon qui a été attaqué et tué par des chiens husky, ma première réaction a été de penser à mon fils Théo, à son petit visage naïf, à sa peau tendre, à son sourire… J’ai eu un frisson d’horreur et chacun comprendra bien de quoi je parle. Ma seconde réaction a été celle d’une sale vipère : j’ai jugé, j’ai accusé, j’ai condamné. Quelques lignes dans le journal m’ont permis de conclure qu’il s’agissait là de démunis aux prises avec une vie plus grande qu’eux, que lesdits démunis ne savent pas prendre soin d’un enfant, que la société doit agir, qu’il devait y avoir des conséquences. Magistralement, sans appel, comme la reine folle dans Alice au pays des merveilles, j’ai conclu : « Qu’on leur coupe la tête ! ».
Heureusement, si la vie m’a appris quelque chose, c’est bien de ne pas rester sur mon premier jugement. En outre, depuis le jour où j’ai lu dans le journal qu’ « un jeune homme sur sa pause de dîner, en ballade sur les plaines, avait été tué par la foudre », alors qu’il s’agissait en réalité de mon ami Benoît, atteint de schizophrénie depuis plusieurs années, qui errait avec son sac de vidanges sur le dos, je me méfie des journaleux plus que tout. C’est aussi que j’aime réfléchir et déteste les opinions. Une opinion, c’est comme une croyance : on en apprend beaucoup sur la personne qui l’a, mais bien peu sur la réalité. Je connais plein de gens qui ont des opinions sur tout, des croyances sur n’importe quoi, mais qui n’ont jamais réfléchi autrement que dans un miroir. C’est pourquoi je m’empresse toujours de transfigurer mes opinions en réflexions et, si cela est possible, en connaissances.
En réfléchissant à cette histoire, j’ai été pris d’une profonde empathie pour cette jeune femme de 17 ans, qui voulait cette grossesse (elle s’est sentie obligée de le préciser aux vautours de la presse qui la questionnaient), qui aime les chiens et que la fatalité vient de détruire, et avec elle l’enfant et l’amour des chiens. Une fille devenue mère bien vite qui a assumé sa maternité (où sont donc les pro-vie ?). Jeune conscience qui allait fumer dehors pour ne pas faire respirer de fumée secondaire à son nouveau-né. Je me suis aussi demandé comment aurait-elle pu prévoir que ses chiens allaient attaquer son enfant ? « On ne laisse pas un enfant si jeune avec des chiens. » Peut-être, mais si les chiens ont toujours été de gentils toutous, on ne se méfie guère. J’ai été élevé avec des chiens, deux gros Rhodesian Ridgeback entre lesquels je m’assoupissais étant enfant. Des photos en témoignent. Un jour, j’ai même été égratigné dans le front par l’un d’eux. C’était un accident et, s’il a fallu des points de suture pour traiter la plaie, personne n’a accusé mes parents d’inconscience. Or, j’apprends ce matin que la jeune femme va être accusée d’homicide involontaire. La pauvre est déjà anéantie par la mort de son enfant et on va la juger en plus pour un acte commis par son chien. Pour homicide involontaire ! Rien de moins.
Ça me répugne de voir encore une fois la loi du n’importe quoi triompher. Ça me dégoûte de penser qu’on va accuser cette jeune fille d’homicide involontaire, quand des parfaits salauds reçoivent des médailles tout le temps, quand tous les jours des imbéciles font la une, quand des meurtriers par procuration cachés derrière leurs cravates jouent à la politique et aux banquiers avec le sang des autres. Et c’est sans parler de tous ces petits bandits qui se prennent pour Al Capone et qui naviguent continuellement de menaces de mort en voies de fait et de dérisoires avertissements en minuscules condamnations.
La jeune fille, arrêtée par la police, emprisonnée sans autre forme de procès, libérée sous caution, sera jugée en bonne et due forme.
Pour homicide involontaire.
Justice.
J’imagine avec une profonde tristesse le regard perdu qu’a eu et aura cette enfant devant tous ces petits maîtres… sur le point d’aller se reposer au chalet, après verdict. Coupable ? Non coupable ? Cela n’a que peu d’importance si le Sea Doo fonctionne et que la batterie du iPad tient bon.
Mais je m'égare, la machine juridique n’est pas coupable. Elle n’est qu’indifférente et froide comme une machine, justement. Les seuls et uniques coupables dans cette tragédie sont les chiens. Et encore. Un chien est un chien et cette horreur n’était peut-être pour eux qu’un jeu de chien. Ne prenons pas de chance, euthanasions sans attendre les deux bêtes et trouvons un support moral et psychologique pour cette jeune famille blessée pour la vie.

3 commentaires:

  1. On ne peut se fier aux journaleux (parfaitement d'accord), et probablement pas aux gens impliqués. Ainsi, il faut une enquête (sous forme de procès?) pour que la lumière se fasse.

    Il y a mort d'un être humain. Les circonstances exactes me sont inconnues mais semblent justifer, pour que ceux qui sont près de la scène, qu'un procès ait lieu.

    Vous dites qu'on ne peut juger sans savoir, en ce sens, s'il s'agissait d'un homicide nous n'en saurions pas plus.

    Restons prudents, tant que les faits ne seront pas établis. S'il ne faut pas accuser sans savoir, des gens croient qu'il ne faut pas innocenter sans procès.

    Si c'est un accident, il faut passer un message à tout le monde et soutenir la jeune femme et s'il y a négligence, il faut sévir... et soutenir la jeune femme.

    La compassion ne doit jamais être exclue mais la raison doit d'abord valoir.

    Accent Grave

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  2. En passant, votre billet est excellent et je retiens cette phrase:

    «Une opinion, c’est comme une croyance : on en apprend beaucoup sur la personne qui l’a, mais bien peu sur la réalité».

    Accent Grave

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  3. Je suis entièrement d'accord avec vous pour qu'on fasse la lumière sur les événements. Mais pas comme des chiens sur un os. Avec empathie et respect, ce qui selon l'article n'a pas été vraiment le cas. Et cette accusation d'homicide involontaire ne cesse de me répugner. Au risque de me répéter, des procès à tenir, il y en aurait beaucoup, mais contre des gens sur lesquels le système n'a pas de prise, quand il n'en fait pas des héros... Ainsi va la vie, serrons les dents et continuons de notre mieux à essayer de "nuire à la bêtise", comme le disait Nietzsche, avec cette si petite arme qu'est l'écriture.

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