jeudi 22 juillet 2010

"Celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir" - Yannick Haenel

En fouillant sur Sollers, je suis tombé sur une de ses suggestions de lecture. Je pars toujours du principe selon lequel, généralement, les écrivains que l'on aime lisent ce que l'on aime. C'est une recette qui m'a assez bien servi jusqu'ici. Je me suis donc procuré le roman Cercle de Yannick Haenel. Bon coup : il s'agit d'un Henry Miller sur l'acide; mon habitude de plier les coins des pages qui contiennent des passages qui me touchent ou me font réfléchir laissent des traces. Le livre est tout plié !

Je cite un passage particulièrement efficace. Ils se reconnaîtront :

"Étais-je libre depuis ce moment-là ? Le mot me faisait rire : "libre", ils sont des millions à employer ce mot, mais qu'est-ce que ça veut dire : "libre" ? De quoi parlent-ils exactement ? La docilité rampe sous les allures; ce sont souvent les plus résignés, les plus secrètement amoindris qui se vantent d'être libres. Le mot "libre", on dirait qu'ils le branlent. Presque tout le monde se contente d'une fausse liberté : celle du "temps libre" entre deux labeurs, celle des "congés", des "vacances", celle qu'on vous accorde une fois que vous vous êtes laissé prendre en otage. Cette liberté-là n'est jamais qu'un arrangement avec l'idée qu'on se fait de soi, une manière de négocier avec ce qu'on supporte, d'être toujours débordé par la somme des contraintes que l'on accepte pour "gagner sa vie". Cette "liberté", je la connaissais bien : elle n'est qu'un interstice malade entre le désir frustré et la soudaine compensation qui le soulage --- un couloir, rien qu'un couloir. Là-dessus, ils mentent tous; ils mentent sur la vie qu'ils mènent, une soi-disant "vie libre", où ils s'"accomplissent" : en réalité, ils appliquent le programme, et le temps qu'on leur laisse les soulage de celui dont on les prive. Ainsi feignent-ils toujours d'avoir voulu ce qu'ils ont; et toujours ils approuveront ce dont il leur arrive de se plaindre."

Quelle bouffée d'air frais dans le marasme littéraire d'aujourd'hui ! Ça fait du bien de lire quelqu'un qui s'élève loin au-dessus des histoires en conserve qu'on lit pour s'endormir ou des romans à la livre qu'on dévore en rotant son rhum sur une plage du Sud.

3 commentaires:

  1. Bonjour, je suis votre voisin virtuel. C'est-à-dire j'ai fait un clic sur Next Blog et me voilà. J'ai lu dans un billet une opinion dans laquelle une femme exigeait de réagir à la vie au lieu de la subir. Votre billet me fait penser maintes choses, mais je choisis cette obstination de voir la vie tiraillée entre deux contraires inventés pour se sentir plus libéré quand on choisit volontairement le bon côté.

    Je trouve que votre passage et votre blogue témoigne plutôt un esprit curieux et peut-être fureteur. Ça me plaît. Et maintenant je retourne au cycle travail-congé sachant très bien que je ne suis pas du tout libre.

    Amicalement

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  2. Hélas, l'aphorisme de Yannick Haenel doit être attribué au poète et parfois chanteur BOB DYLAN, soit "Who's not busy borning is busy dying" 1980

    Elvis Presley a libéré le corps, Bob Dylan les esprits.

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  3. Oui, monsieur Poillet, vous avez raison. Haenel, par ailleurs, le mentionne clairement dans son roman. C'est en entendant du Bob Dylan que la réflexion que j'ai citée lui vient.

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