dimanche 5 décembre 2010

L'opinion des artistes

Le vidéo des artistes qui demandent au gouvernement de prendre son temps en ce qui concerne le gaz de schiste a fait beaucoup jaser un peu partout. À la radio, un petit empereur libertarien de Québec (évidemment!) a suinté comme il sait si bien le faire. Après avoir posté le vidéo en question sur son blogue, le caricaturiste Ygreck a vu apparaître une belle diarrhée de commentaires (il faut dire que son blogue est fréquenté par une faune béotienne assez exceptionnelle…). Le refrain est assez connu: « L’argent… bla-bla-bla… », « le Québec de marde… bla-bla-bla… », « aux States… bla-bla-bla… », « les artisses, ces B.S. de luxe, bla-bla-bla… ».

Là, je me sens visé. Et quand je me sens visé, je dégaine.

Du bas de leur tribune radiophonique, ces salariés à 200 000 $ par année, anciens fils à papa, économistes de caisse populaire, libertariens de rien, dispensent à qui mieux mieux leur démagogie d’inculte et leur réflexion de secondaire trois faible. Ils accusent les artistes de se prononcer sur une cause qu’ils ne connaissent pas, quand ils passent leurs longues matinées à donner leur avis sur tous les sujets imaginables, qu’ils ne connaissent pas… À l’autre bout, cachés derrière l’anonymat du web, ces commentateurs-perroquets qui écrivent ce qu’ils ont entendu lors de leur imbibition matinale de flux radiophonique. On leur a donné une demi-éducation, pas surprenant qu’ils aient des demi-opinions. Je l’ai déjà écrit ailleurs, mais quand on rêve d’être Forest Gump, il faut s’assurer d’en avoir pas que le Q.I.

On doit leur dire, à tous ces petits enragés, que la plupart des artistes ne vivent pas comme des rois, n’ont pas de subvention et poursuivent leur art la plupart du temps envers et contre tous. Lâchez vos Summum deux minutes! Les artistes dans la Tévé ne sont qu’une infime minorité de tous ceux qui créent. Je connais de nombreux artistes et aucun d’eux ne fait la grosse vie subventionnée que vous vous imaginez. Sortez de vos bungalows pour aller voir autre chose que la finale de la Coupe Vanier ou le Red Bull Crashed Ice et essayez donc d’aller du côté des bars de chansonniers, des lectures de poésie, des lancements, des vernissages… Je sais bien que toutes ces niaiseries ne vous intéressent pas, mais vous auriez la chance de constater qu’il n’y a pas de millionnaires là, mais des passionnés de l’art, des gens qui sont prêts à tout pour faire ce qu’ils aiment. Vous comprenez ce que ça veut dire, faire ce que l’on aime sans vouloir devenir le patron, sans avoir besoin de sa petite semaine à Puerto Vallarta pour décompresser ? Ha, c’est vrai que pour vous, les seuls artistes dignes de ce nom sont ceux qui vendent, n’est-ce pas? Donc ceux que l’on voit partout, ceux que tout le monde aime, ceux qui sont subventionnés…

Si ce n’était de votre colère mal dissimulée, vous seriez presque comiques avec vos idées en poudre, votre connaissance de tout sur à peu près rien, vos rêves de banlieusards, vos peurs cupides, votre éternel aller-retour entre votre salaire haute imposition et votre télévision haute définition, entre vos pauses-café et vos voyages organisés, entre vos relations de couple tiédies et vos masseuses bon marché. Heureusement, vous nourrissez mon imaginaire, bien que je n’écrive pas mes livres pour vous, qui ne lisez pas. Et si j’ose entrer dans une zone qui vous est interdite, je vous affirme que j’écrirais même si je n’étais lu de personne. C’est que, comme le disaient les frères Goncourt, « en art, il y a mille façons d’encourager les fausses vocations, mais aucune de décourager les vraies ».

À la lumière de ceci, j’espère que vous comprendrez que les artistes n’ont pas besoin de votre accord pour être passionnés, pour continuer leur combat, pour créer, pour donner leur opinion. L’art, quel qu’il soit, est toujours une opinion. Vous riez? Nous aussi, mais jamais en même temps que vous.

3 commentaires:

  1. Je me demande si répondre à ceux qui méprisent les artistes en vaut l'effort. Cela ne fait qu'alimenter la polarisation des opinions.

    Je ne suis pas un artiste et je ne méprise pas ces derniers non plus, enfin quelques uns mais pas parce qu'ils sont artistes. Par contre, je vis dans un bungalow, j'ai des opinions sur bien des choses, certainement pas toutes valables.

    Alors, qui suis-je?

    Quelqu'un.

    Accent Grave

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  2. Cher Accent Grave,

    Je comprends votre point de vue et vous avez sans doute raison en ce qui concerne "la polarisation des opinions". Mais je suis incapable de me taire quand des imbéciles (car si vous avez écouté l'extrait radio, il s'agit bien de ça) parlent fort. Je ne le fais pas pour eux, qui ne changeront pas, mais pour moi. C'est une soupape de sécurité dans ma tête, qui s'est installée il y a fort longtemps.

    Je crois que la majorité des gens sont comme vous : ils ne méprisent pas les artistes. La plupart de mes fréquentations ne sont pas des artistes et elles me respectent.

    Vous êtes très certainement "quelqu'un" et vos commentaires (vous êtes le plus actif de mes visiteurs qui sont tout de même assez nombreux et j'apprécie) toujours posés et pertinents le prouvent. Vous aurez compris que le "bungalow" était une figure de style : personne n'est le lieu où il habite...

    Enfin, j'aimerais bien être un sage qui accepte que tout est relatif... ce que je saisis en théorie. Je sais aussi qu'il me faudrait tourner ma plume sept fois avant d'écrire... Mais je pense que je n'écrirais pas, idée qui m'est intolérable. C'est plus fort que moi : s'il faut choisir entre la retraite paisible dans la montagne et le champ de bataille, je ne puis m'empêcher de charger.

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  3. Je vous connais assez pour savoir que vous n'êtes pas «réducteur», que le bungalow était une image.

    Malheureusement, trop de gens se nourissent d'images, on n'a qu'à penser au Plateau, aux Anglos, aux babyboomers. Ce n'est pas très grave sauf je ne veux pas alimenter ces personnes trop paresseuses pour faire la part des choses.

    Pour revenir à votre sujet, il est vrai que si vous êtes un artiste et que vous osez exprimer une opinion sur autre chose que l'art, aux yeux de certains, cette opinion n'aura pas la valeur méritée alors que pour d'autres elle sera amplifiée.

    En deux mots, il ne faut pas s'attarder à ces stéréotypes tout en se concentrant sur le contenu du discours. Les artistes réfléchissent sur bien des sujets, en ce sens, leurs opinions valent au moins celle des autres mais le revers de la médaille c'est le mépris d'une partie de la population, souvent non instruite.

    Accent Grave

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