lundi 17 mars 2014

À la défense de Gab Roy (et de tous les autres qui ont le droit de parler sans se faire lapider)

« Si vous êtes en faveur de votre liberté de parole, cela signifie que vous êtes en faveur de la liberté de parole pour les opinions que précisément vous méprisez. Sinon, vous n'êtes pas en faveur de la liberté d'expression. »
Noam Chomsky, Manufacturing Consent: Noam Chomsky and the media

J’ai fait une expérience, j’ai demandé à ma voisine, une gentille dame qui promène son chien dix fois par jour: « Savez-vous qui est Gab Roy ? ». Elle a hésité quelques secondes et m’a regardé étrangement, sans doute parce qu’elle ne comprenait pas pourquoi je lui demandais ça. La réponse est venue, incertaine : « C’est pas le gars, là, le gars qui a violé chose, là, vous savez, la blonde à Rémi Thivierge, le tit gars du Matou. » Je lui ai souri et j’ai changé de sujet : « Comment va votre chien ? ».

Je précise pour ma voisine que Gab Roy est un humoriste issu d’une nouvelle entité médiatique, les vloggeurs, qui animent quotidiennement les Internets. Cet humoriste (bon ou mauvais selon la personne à qui vous le demandez) a écrit un texte extrêmement malhabile et pas drôle du tout mettant en vedette la comédienne Mariloup Wolfe, qui a non seulement l’air et la beauté d’un ange, mais qui de surcroît est en couple avec un enfant chéri du Québec, Guillaume Lemay-Thivierge. Le texte relatait une séance de sexe intense et vulgaire entre l'humoriste et la comédienne. D’après moi (et sans doute Gab Roy serait désormais d’accord), c’était un mauvais texte : mauvais ton, mauvais choix de mots, mauvais humour, mauvaises cibles trop ciblées, justement.

Mais bon, est-ce que ce texte fait de Gab Roy un pervers dangereux ? Non, ce n’est qu’un humoriste qui navigue dans l’humour trash, avec les risques que cela comporte. Est-ce qu’on doit lui retirer son droit de parole à jamais ? Non, ce n’est qu’un citoyen qui écrit sur le web pour faire rire; et ici le but est plus important que le résultat. Est-ce qu’on doit le poursuivre pour 300 000 $ ? Là, c’est plus délicat et je crois que le but est ici encore plus important que le résultat. Quel était le but déjà de ce texte ?

Gab Roy a-t-il écrit sur un site qui affirme la supériorité de l’homme sur la femme ? Ou était-ce un site qui promulgue la soumission sexuelle des femmes envers les hommes ? Un site contre Mariloup Wolfe ? A-t-il pris pour cible une personnalité publique en l’insultant jour après jour comme l’avait fait un certain animateur de radio mort depuis et ressuscité récemment ? Non, en réalité il s’agit d’un site d’humour. Là, j’entends les hyènes enragées qui disent que ce n’est pas de l’humour. Vous savez, la plupart des humoristes ne me font pas souvent rire, Gab Roy compris, mais cela ne veut pas dire que ce n’est pas drôle. On peut savoir ce qui nous fait rire, mais on ne peut pas décider de ce qui est drôle. Il me semble que l’humour est dans l’oreille de celui qui l’entend. C’est drôle quand ça fait rire quelqu’un, même si c’est le beau-frère un peu redneck sur les bords. D’ailleurs, le texte de Gab Roy l’a sûrement fait rire, votre beau-frère un peu redneck sur les bords. Le but était atteint, car c’est ce qu’il voulait, Gab Roy, faire rire. Pas insulter les femmes, pas humilier publiquement madame Wolfe, mais faire rire, tout simplement. On verra ce que la cour dira, mais je crois que le but est primordial dans ces histoires de diffamation et, ici, de toute évidence, il n’était pas de diffamer.

Cela nous amène à la question des sujets humoristiques. Le texte de Gab Roy ne parle pas d’un viol, quoi qu’en disent ceux qui ne l’ont pas lu. Ce texte parle d’une séance imaginaire de sexe hard entre un humoriste et une comédienne, et je ne pense pas une seconde qu’un seul lecteur ait pu le prendre au pied de la lettre et croire que Gab Roy avait fait avec Mariloup Wolfe ce qu’il racontait dans ce texte. Alors quoi ? C’était vulgaire ? Oui. Dégradant ? Oui. Choquant ? Oui.
Et ? Va-t-on interdire tout ce que madame ou monsieur trouve vulgaire, dégradant, choquant ? Va-t-on refaire un index et y placer tout ce qui ne fait pas l’affaire de madame ou monsieur ? Est-ce que madame et monsieur vont être élus pour prescrire ce qu’on peut lire, écouter, regarder ? Ce serait dramatique, car si madame et monsieur sont souvent modérés et sensés, il arrive parfois qu’ils soient coincés, dogmatiques et idiots.

Ceci dit, je comprends que Mariloup Wolfe et son conjoint Guillaume Lemay-Thivierge aient pu se sentir blessés. Voir son nom dans un texte mauvais et choquant, ce n’est pas rien. Ça me fait penser aux capsules Means Tweets de Jimmy Kimmel Live où des célébrités lisent des tweets que leur ont envoyés des haters enragés. Les insultes sont bêtes et très méchantes, mais les célébrités, en bons joueurs, les lisent à voix haute devant la caméra. C’est peut-être plate à dire, mais c’est extrêmement drôle : parce que les tweets sont méchants, mais surtout parce que les célébrités simulent la tristesse, la colère ou l’incompréhension. Bref, elles jouent le jeu et ça marche. Je ne peux m’empêcher de me demander comment aurait évolué cette histoire si Mariloup Wolfe avait envoyé un clip drôle ou cynique en réponse à Gab Roy, plutôt qu’une mise en demeure.

On ne le saura jamais et, dans l’esprit de plusieurs, Mariloup Wolfe restera une malheureuse victime et Gab Roy un salaud.

C’est pour ça que cette histoire me fascine et me trouble.

Elle me fascine parce que c’est une manifestation spectaculaire du pouvoir des médias (sociaux), un concentré explosif de ce qu’on appelait jusqu’à récemment la propagande, c’est-à-dire un ensemble de procédés qui servent à influencer les gens et à les faire penser ce qu’on veut qu’ils pensent, mais qu’on appelle maintenant le pouvoir des réseaux sociaux. Mais il y avait quelqu’un derrière la propagande, une entité spécifique, politique souvent, avec un but. Mais derrière les réseaux sociaux, il n’y a rien, si ce n’est XYoBOB31, Gigi_HOT et Brandbouc19. C’est pourquoi je me méfie des consensus qui s’obtiennent en quelques milliers de tweets et qui font la une de Tout le monde en parle où tout le monde (qui dans les faits n’est pas tout le monde, mais une frange du vedettariat québécois) est d’accord avant, pendant et après l’émission. De la masturbation d’opinion, ça n’a jamais donné d’échanges honnêtes.

Elle me trouble parce qu’elle expose dans sa plus vulgaire forme l’esprit de meute haineux des humains en général, celui (oui, oui, le même !) qui a fait brûler du monde vif au Moyen Âge ou qui a conduit à des massacres d’envergures cautionnés par le peuple. Quand on place ensemble cinq personnes intelligentes, il arrive que le groupe devienne con. Quand c’est mille, il arrive qu’on brûle des livres ou des hommes. Le bon peuple. La masse. Le vulgum pecus. Le commun des mortels. Vous, moi et les autres. Du sang pour apaiser la haine qui est en nous. Du ben bon monde, dans la vie de tous les jours. Mais, croyez-moi, ne laissez pas ce ben bon monde tout seul dans une forêt avec Gab Roy et une corde…

Je devine cinq types de personnes dans ce ben bon monde :

Ceux qui ont lu le texte, qui l’ont trouvé inacceptable et qui veulent la tête de Gab Roy qu’ils détestent.

Ceux qui n’ont pas lu le texte, qui l’ont trouvé inacceptable et qui veulent la tête de Gab Roy qu’ils détestent.

Ceux qui n’ont pas lu le texte, qui ne connaissent pas Gab Roy, et qui veulent la tête de quelqu’un, qu’ils détestent.

Ceux qui n’ont pas lu le texte, qui ne connaissent pas Gab Roy, et qui trouvent déplorable le viol de chose là, la blonde à Rémi Thivierge, le tit gars du Matou, comme ma voisine.

Et enfin, ceux qui se taisent, par peur de représailles ou d’être trouvé coupable par association.

Entre vous et moi, ça ne fait pas un procès public très honnête.

En passant, je ne connais pas Gab Roy personnellement. J’ai entendu parler de lui parce que mes filles, adolescentes et jeunes adultes, le suivent depuis ses débuts. Des fois, il les fait rire. D’autres fois, elles le trouvent carrément con ou vulgaire. Et c’est tout.

J’ai fini par le lire de temps en temps. Je le trouve drôle des fois. Et croyez-le ou non, il est même très articulé et intelligent à ses heures. D’autres fois, je le trouve con ou vulgaire. Et c’est tout.

Le jour même de la parution du texte sur Mariloup Wolfe, je suis allé lire son texte quand j’ai vu les réseaux sociaux s’enflammer. J’ai froncé les sourcils et je me suis dit que ce texte était très con et inutilement vulgaire. Et pas drôle du tout. J’ai cliqué sur le X de mon Google Chrome et c’était fini. Et c’est tout.

En terminant, je précise aux inquisiteurs virtuels que je ne défends pas ce texte en particulier, je défends les textes, tous ceux qui s’écrivent partout et qui nous donnent une vision du monde autre que la nôtre. Je lis ceux de mes ennemis avec délice et mes ennemis devraient faire de même avec les miens. C’est ce que j’aime dans notre société, que nous puissions parler quand ce qu’on a à dire est brillant et logique, mais, aussi, quand bien même ce serait stupide ou faux. C’est parfait ainsi, car on ne sait jamais avec certitude, après tout, si le con ou le menteur ce ne serait pas nous.

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