dimanche 22 janvier 2006

L'enrôlement

Je les vois tomber un à un. Les poings descendent et se glissent dans les poches des vestons ou s’agrippent aux poignées des mallettes de cuir noir. Les mentons se rasent, les ventres s’arrondissent, les cartes d’affaires s’embellissent. Les cris de guerre deviennent des chuchotements, quand ils ne muent pas carrément en rires d’hyènes. Les voitures grossissent au même rythme que l’accablement du travail, qu’ils nomment fièrement promotion. Les discours tanguent, les langues fourchent, les culs s’assoient. Le combat devient personnel, les malheureux à défendre familiaux, quand ce n’est pas privés, voire privé, sans « s ». Les soupers entre amis ressemblent de plus en plus à ceux des parents. On mange avec ceux-ci, mais on dirait qu’on le fait avec ceux-là. Aux cocktails s’enchaînent les 5 à 7 où tous regardent leur montre du coin de l’œil. Les piquettes se font de plus en plus rares, comme les débats de fond. La hache de guerre a été enterrée pour de bon et on l’a remplacée par un calumet de paix, sans tabac s'il vous plaît. Les bâillements incontrôlables surviennent tôt, les accouplements spontanés de plus en plus rarement. « À l’improviste » est désormais une expression réservée à la température. L’indignation est de mise pour le prix exorbitant de l’essence, les impôts trop élevés, les suicidaires qui bloquent les ponts. Ils commencent à comprendre certaines paroles, certains actes, certaines attitudes. Ils ne savent plus pour qui ils vont voter. Les yeux se plissent, les bouches se crispent, les mains s’agrippent. Bientôt, ils vont commencer à jeter un coup d’œil à la page nécrologique, juste au cas où.

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