samedi 7 janvier 2006
Les Zeureux
Les Zeureux sont heureux. Pourquoi s’en faire ? La vie peut-être si belle quand on sait par quel bout la prendre. Ils savent que le malheur existe et s’émeuvent devant la misère de ceux qui n’ont pas la chance d’être des Zeureux comme eux. Mais que peuvent-ils y faire ? À quoi leur servirait-il de s’en faire : à ajouter encore de la tristesse au monde. Alors ils sourient, ils vivent, ils existent, bref, ils ne s’en font pas.
Les Zeureux sont généreux. Ils donnent aux collectes, grattent leurs poches devant les miséreux, participent prodigalement aux téléthons, brassent parfois la cloche aux guignolées, achètent la boite de barres de chocolat de l'enfants qui passe à leur porte ou le faux canif suisse à 35 $ du colporteur ex quelque chose.
Les Zeureux ont de la compassion — ils ne les méprisent pas, ce serait contre leur politique jovial — pour les tristes, les déprimés, les angoissés, les névrosés, les pas-bien-dans-leur-peau et les pas-capables-de-pas-s’en-faire. Ils esquissent un sourire gauche quand leur bonheur pur et dur est confronté à l’inconfort de l’autre de vivre dans leur monde — le même — « pas si pire que ça », voire « pourtant si beau ».
Les Zeureux voient du bon dans presque tout, trouvent des explications pour presque tout. Ils prennent des voies rapides quand le trafic de la vie se fait trop dense. Ils trouvent exagérées les dénonciations de la droite, démesurées les accusations de la gauche, injustifiées les réclamations du haut et du bas. Bien au centre, ils savent que l'on fait soi-même son bonheur et qu’il n’y a qu’une seule personne responsable de son propre malheur, celle qui le fait.
Les Zeureux sont en général fort agréables à fréquenter. Ils ne s’emportent jamais, ils ont toujours leur gourde pleine de positif à portée de la main pour adoucir le vin du malheur, leur poche de sable pour jeter sur le feu de la lucidité qui fait mal pour rien. Ils racontent des blagues vraiment drôles, ont toujours une anecdote savoureuse et propre à partager. En plus ils ne sapent ni ne s’essuient après la nappe. Personne ne parle dans le dos des Zeureux qui n’ont jamais rien à se reprocher.
Les Zeureux sont toujours fonctionnels selon le principe qu’on se fabrique soi-même un bonheur, une vie bien remplie, une existence joyeuse bien à soi. Leur vie est équilibrée, dosée, et même leurs écarts on ne peut plus fortuits s’imbriquent d’une façon ou d’une autre dans le dosage enjoué de leur façon d’aborder l’existence.
Les Zeureux sont contents de vivre dans le plus beau pays du monde. Ils savent que la liberté est chèrement acquise et qu’il faut savoir être reconnaissant devant ceux qui l’accordent si généreusement.
Les Zeureux n’aiment pas ceux qui se plaignent le ventre plein ou vide. Ils n’apprécient pas qu’on mette en doute l’état naturel des Zeureux. Ils n’approuvent pas la rébellion contre tout ce qui en fait des Zeureux. Les Zeureux trouvent chialeux ceux qui ne sont pas Zeureux, car ils savent que l'on peut toujours, avec un peu de volonté et beaucoup d'effort, faire partie des Zeureux.
Car les Zeureux transcendent le malheur. Ils trouvent un sens à leur souffrance, donnent leur assentiment à l’adversité inévitable, ressortent systématiquement plus forts de ce qui ne les tuent pas. Les Zeureux sont heureux. Vraiment.
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