mardi 15 novembre 2005

Que deux millions quatre cent mille égale zéro

Vous savez quoi ? Nous assistons actuellement à une révolution mathématique. Depuis peu, force est de constater que deux millions quatre cent mille égale zéro. Comment ? C’est bien simple, grâce à Star Académie. Oui, vous avez bien lu, grâce à cette émission sauce mercantile épicée à la feuille populaire. Comment on en arrive à cette révélation mathématique ? C’est bien simple : le 6 novembre dernier, l’émission réalisait une moyenne de 2,4 millions de téléspectateurs. Le dernier recensement au Québec donnait 7,2 millions d’habitants. Si on fait une simple règle de trois, il se trouve qu’environ 33 % de la population totale du Québec écoutait Star Académie ce soir-là, et c’est sans compter tous ceux qui sont dans l’incapacité, pour une raison ou une autre, d’écouter la télé à ce moment. 33 %, ça fait du monde, ça fait une personne sur trois, si je ne m’abuse. Mais là où ça devient vraiment intéressant, c’est quand on se permet de parler de Star Académie autour de nous. Je ne sais pas si c’est pareil pour vous, mais dans mon entourage, personne n’écoute cette émission. J’ai beau chercher, il semblerait qu’écouter Star Académie serait aussi dangereux que se faire tousser dans la face par un poulet Kentucky infecté par la grippe aviaire. Nenni, aucunement, d’aucune façon, d’aucune manière, en aucun cas, d’aucune sorte, ni peu ni prou, personne n’écoute Star Académie ! PERSONNE. Ah ! J’oubliais, il se trouverait sans doute quelques enfants du primaire prêts à affirmer que non seulement ils l’écoutent, mais aussi qu’ils ont demandé le disque pour Noël et que Marie-Mai est plus belle qu’Audrey ou Wilfred moins talentueux que Marc-André. Quelques enfants du primaire… Pas 2,4 millions d’enfants du primaire, tout au plus le petit 1,2 million que les statistiques donnent entre 0 et 14 ans ! Où est-ce qu’ils sont les centaines de milliers d’autres auditeurs de Star Académie ? Partis flasher leur lumière sur une île avec la gang à Jean-Marc Parent ? Qu’on me comprenne bien : je ne mets pas en doute les résultats d’audience de Star Académie. Même si cela ferait plaisir à tous les Anti Star Académie — on se demande d’ailleurs s’il n’y aurait pas d’autre ineptie plus importante à dénoncer que cette émission de variété dominicale —, ce serait, vous le reconnaîtrez, faire preuve d’une mauvaise foi crasse. Ce que je mets en doute, ce sont les réponses des gens de mon entourage qui prétendent à l’unanimité qu’ils n’écoutent pas Star Académie, qu’ils ne savent même pas ce que c’est ou qui méprisent tant de commercialisation pour si peu de talent. Je ne dis pas que je ne suis pas d’accord avec eux, je dis simplement que quelqu’un ment quelque part. Et ce n’est pas moi, parce que je dois l’avouer — mes détracteurs seront contents de me l’entendre dire et ceux de mes amis qui croient que je suis toujours penché sur un poussiéreux manuscrit médiéval ou une vieille édition de Nietzsche seront peut-être fort surpris — je l’écoute, moi, cette émission que personne n’écoute. À mon corps défendant, je plaiderais mon incapacité à avouer à mes trois filles que leur émission me pue carrément au nez et, surtout, à laisser passer ce moment spécial où je m’installe sur le divan avec elles et ma blonde, tous les cinq blottis comme des chatons en manque de chaleur. « Écouter » est peut-être aussi un terme un peu fort : je suis souvent distrait, me tortillant sur le divan en pensant aux quinze bouquins que j’ai entamés et qui n’attendent qu’une caresse de mes mains, à la « puff » d’un bon More ou au dernier film des frères Cohen que je viens de graver, mais je suis tout de même devant mon téléviseur, les yeux en direction de Julie Snyder qui se ridiculise chaque fois un peu plus, tout ouïe pour ces « nouvelles stars » qui, impunément, écorchent à la fois mes oreilles et certaines chansons de mon répertoire sacré (il faut, pour comprendre cette douleur, avoir entendu la version Star Ac de « Tu m’aimes-tu ? » de Desjardins ou de « Comme dans le temps » de Caïn…). Quoi qu’il en soit, je suis donc obligé de changer ma formule, ce qui n’empêche pas la révolution mathématique qui en découle : 2 400 000 = 5 (ou 6, si mon fils a terminé sa dernière partie de Need for Speed).

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