samedi 16 août 2008

Les fois où je suis Éloi

Avoir un corps qui entend mieux que son âme est parfois douloureux. Mais c’est aussi une assurance contre l’engourdissement total. Je vois tellement de « neutralisés » quand je regarde autour de moi et plus loin aussi, que quelques reflux gastriques, quelques noirs matins deviennent acceptables. La lobotomie ne se pratique pas que dans les hôpitaux psychiatriques et je suis même prêt à affirmer, preuves à l’appui, qu’elle est encore plus fréquente en dehors. Toutes ces dents serrées, ces mâchoires crispées, n’attendent-elles pas un choc électrique ? Quoi alors ? La paye ? La fois où ça va être mieux ? La petite bière frette du vendredi ou le spectacle de Paul ? La vie n’est-elle que ça ? Une bonne job suivi d’un bon show ? Trop peu pour moi.

Un problème se pose toutefois : à force de refuser la désactivation, la fatigue survient. Normal : presque toutes les pièces du casse-tête sont taillées pour valider l'inhibition. Comme une sorte de gros ciel bleu plate, monotone, sous lequel se promène une foule avec un grand sourire et de grands espoirs. Alors parfois, certains jours, une lourdeur monte, on accepte d’être tondu et de se faire mettre un bout de caoutchouc dans la bouche, pour ne pas briser les dents. Y a des sourires, des applaudissements, des congratulations. Y a des « je l’savais », des « bon, enfin ! » et des « il est des nôtres ! ». Je souris à mon tour comme un Éloi devant des Morlocks. Bèèèè !

Mais avant que les poignets et les chevilles ne soient liés, juste au moment où tout le personnel semble enfin content d’être sur le point de régler le cas problème, une lueur passe, et me voilà sur mes pieds, courant dans le corridor de l’émancipation, dévalant les marches de la désobéissance, entonnant, sous mon vieux ciel nuageux, le chant de l’insoumission. Encore un peu et j’y passais.

Dans ce temps là, j’ai l’air fou. D’un fou. Mais je n’y peux rien, je me sens comme ce type dans le film Den Brysomme Mannen, j’entends une musique par un petit trou que personne ne semble voir, ne peut ou ne veut voir.

Tends l’oreille, lâche ton mors, n’aie pas peur de faire de la peine à maman… L’entends –tu ?

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