dimanche 2 novembre 2008

Garde-boue

Il y a une quinzaine d’années, je m’imaginais les artistes avec une ferveur qui en faisait des êtres différents. Mon jugement, loin d’être naïf ou superficiel, était fondé sur ma propre expérience – ma vision du monde et l’authenticité de ma démarche – et sur les œuvres de quelques humains que j’avais eu la chance de croiser dans ma quête : Nietzsche, Debord, Breton, Alain, Miron… Ce que le temps m’a appris, assez durement je dois l’avouer, c’est que ces figures, loin d’être la norme, sont plutôt des exceptions.

Comme mon intérêt pour l’art n’a jamais diminué et que mon cheminement a toujours été balisé par ce désir de demeurer au plus près de la création et des créateurs, j’ai rencontré de nombreux artistes – du moins, qui se prétendaient l’être – depuis quinze ans. Certains m’ont impressionné, et m’impressionnent encore, tant par la pureté de leur démarche que par la passion artistique qui anime leur vie. Ils sont exceptionnels et se démarquent aisément de tous les autres qui, indépendamment de la qualité de leurs œuvres, ne me sont apparu, la plupart du temps, que comme des vendeurs, des commis, des prétendants, des opportunistes, des aspirants, des fonctionnaires ou carrément des médiocres.

S’il y a une chose que je ne pardonne d’aucune manière à ceux qui se disent artistes, c’est de jouer leur rôle comme le système l’impose, c’est-à-dire en adhérant tête baissée au dégradant concept d’offre et de demande. Bouche grande ouverte, mains tendues paumes tournées vers le haut, ils mendient leur pitance et cherchent à trouver une place dans le supermarché de l’art, espérant voir leurs « produits » s’écouler après avoir été bien disposés dans les étalages mercantiles. À la litanie justificatrice, Il faut bien manger, je préfère encore celle des artistes vendeurs qui, dans leur désir d’être reconnus, assument au moins leur appétit de commerçant et leur ambition de succès. Qu’il faille manger, personne ne le contestera, mais un tel argument ne justifie pas tout. Quelle pitié qu’un assassin qui fait son métier pour vivre ! Quelle tristesse qu’un créateur qui s’offre et souvent ajuste son effort à la cible pour « vivre de son art » ! Ceux qui pensent et agissent de la sorte sont entièrement responsables du jugement aujourd’hui répandu, qui exige qu’un artiste produise de façon à pouvoir vendre suffisamment pour vivre. « Si tu ne peux pas en vivre, fais autre chose… ». Cette assertion, collée à la substance spectaculaire consommable de notre temps, expose non seulement l’assimilation réussie par un système conçu et exploité par des vendeurs, mais aussi l’incapacité à voir dans la création artistique autre chose qu’une marchandise qui doit plaire pour se vendre.

De ce point de vue, toute œuvre du passé qui n’eut pas obtenu la considération de son époque n’aurait pas traversé le temps : Van Gogh, Nietzsche, Proust, pour ne nommer que ceux-là. Mais ils ne connaissent pas ces noms; comment pourrions-nous espérer que ceux qui font aujourd’hui de l’art une activité aussi élevée que l’ont fait ces esprits puissent obtenir quelque respect à leurs yeux de banquiers ?

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