lundi 2 mars 2009

Dérapage Facal

Dans un article intitulé « Fausse route, faux débat », Joseph Facal présente un texte sur la question du soutien étatique des écoles privées. Sous des allures de simple opinion, cette malhabile tirade, qui est sans doute à la hauteur des moyens de son auteur, expose surtout une condescendance et une démagogie qui est de mode : celle des gagnants par effort et des perdants par lâcheté.

Dans la logique de ce professeur à l’école des hautes études commerciales de Montréal, l’école privée est « accessible à la grande majorité de la population, si elle se dit qu’une auto de 16 000 $ roule aussi bien qu’une de 20 000 $, ou qu’un écran plat n’est pas indispensable. » Non content d’avoir trouvé tout seul cette solution si simple (pourquoi n’y avons-nous pas pensé avant ?), le journaleux à temps partiel complète sa pensée en ciblant plus directement le problème : « Un carton de cigarettes Player’s coûte 66,99 $ avant taxes. Question de valeurs, j’imagine. ». Ainsi sous-entendu, dans le monde de Facal, les moins nantis préfèrent boire et fumer plutôt que d’envoyer leurs enfants à l’école privée, là où ils pourraient enfin faire quelque chose de leur vie en la gagnant. Dans cet univers simpliste de l’effort récompensé et de la paresse punie, la vie est une feuille Excel où il suffit de changer le chiffre d’une colonne pour que toutes les autres s’ajustent… Dommage que ce ne soit pas le cas, car j’encouragerais ce barbouilleur de papier et d'esprits à augmenter un peu la colonne « pensées » aux dépens de la colonne « diplômes », qu’il a bien garni, confirmant ce que je pense de l’usine à diplômes : l’université ne fait pas le penseur.

Le plumitif aborde ensuite avec son navire approximatif la question de la sélection élitiste des écoles privées. « L’école privée sélectionne, c’est vrai. Mais elle sélectionne sur la base du mérite académique des enfants et non du portefeuille des parents. » Ah ! Oui ?

J'ai eu la chance (ou la malchance, c'est selon) de naître dans un milieu bourgeois et aisé. Tout comme Joseph Facal, j’ai fait mes études secondaires au privé, à l'instar de la majorité de mes amis de l’époque. Je n’ai pas tout conservé en mémoire (on finit par oublier, même le pire), mais je me souviens avec une certitude gluante qu'aucun de mes confrères ne venait d'un milieu défavorisé, ni même moyen, et ce, durant les cinq années de mon secondaire, toutes classes confondues. Par ailleurs, je connais des gens qui prônent désormais l'école privée (cela se transmet souvent génétiquement) et qui y envoient leurs enfants. Croyez-moi, ils ont tous de quoi très bien vivre.

Vous dites ? Il existe des bourses pour les élèves excellents qui n’ont pas les moyens d’aller à l’école privée ? Je dis qu'il n’y a rien de mieux qu’une exception pour faire croire à tous qu’il y a une règle quelque part… Si une école privée permet à des jeunes de milieu modeste d'y étudier, tant mieux, mais ce serait faire preuve de mauvaise foi que de dire qu'il ne s'agit pas là que de rares exceptions...

Notre penseur du Journal de Montréal tente ensuite de nous convaincre que le succès d’une école repose sur le contenant plutôt que le contenu. « Dans les écoles publiques qui réussissent (sic), que trouve-t-on invariablement ? Des directeurs à poigne, de la discipline, des enseignants qui aiment leur métier, des parents qui s’occupent des enfants. » Et dans celles qui ne performent pas ? Des directeurs laxistes, de l’anarchie, des enseignants qui détestent leur métier, des parents qui se foutent de leurs enfants ? C’est tellement binaire comme réflexion, que je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement entre cette façon de penser et les propos intarissables de Sylvain Bouchard, cet autre grand penseur de notre temps.

Dans votre monde, quand on veut, on peut !, n’est-ce pas Monsieur Facal ? Malgré les Joe Louis pour dîner ? Les désespoirs de fin de mois ? La vie sans livres et sans musique ? Bien sûr, on connaît tous des histoires de succès à partir de rien... Mais naître avec deux prises – parfois trois – c'est un facteur qui joue énormément. C'est un triste trait de notre temps que d'accuser les moins nantis de l'être et de faire semblant qu'il n'en tient qu'à eux de s'en sortir... pour aller à l'école privée !

En fin de course, Monsieur Facal nous apprend enfin que ses enfants vont à l'école primaire du quartier. "Publique", s'empresse-t-il de préciser, comme pour montrer sa bonne foi et prouver par le fait même que la noblesse sait aussi se faire humble. Mais la mauvaise foi perce malgré l'effort, quand on sait trop bien que la règle de la petite-bourgeoisie a toujours été la même ou presque : primaire au public, secondaire au privé.

Cela dit, je ne crois pas à l’école privée comme meilleur chemin de vie. Les « plus de chance », « encadrement meilleur », « moins de violence » et autres présumés avantages de ce froid milieu petit-bourgeois sont des théories entretenues par des idéalistes de la classe moyenne. Moins de décrochage ? Peut-être selon les chiffres, mais c’est sans compter tous ceux qui après un séjour plus ou moins long au privé s’en vont décrocher au public ! De la drogue, du taxage, des dérapages, des filles qui couchent, de la violence, il y en a autant sinon plus au privé. C’était le cas au temps où j’y étais, quand on disait déjà le contraire partout.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire