lundi 2 mars 2009

Les froussards de l'ennui

« Le loisir, le divertissement, l'abondance matérielle constituent une tentative pathétique de réenchantement du monde, l'une des réponses que la modernité apporte à la souffrance d'être libre, à l'immense fatigue d'être soi. » - Pascal Bruckner, La tentation de l'innocence -
Ils crient haut et fort, ces avant-gardistes du vrai monde, détenteurs d'une lanterne aux allures cathodiques, tels des Diogène antinomiques qui chercheraient un bon show mais ne trouveraient que le réel. Ils en veulent plus, encore plus. Ils cherchent dans leurs amusements continuels à combler un vide qui les traque partout, même dans leurs rêves et leurs désirs qui sont faits du même néant qui les habite. Ils se gorgent d'activités, quand on ne les gave pas comme des oies à leur insu, et s'étonnent de ce que certains n'aient pas le même goût pour ce festin de néant. On irait jusqu'à les prendre en pitié, si ce n'était que ce monde consumériste et triste qu'ils ont fait à leur image ne venait continûment contaminer celui où, par dégoût, nous nous sommes sciemment expatriés quand ils faisaient tout pour se conformer à l'insoutenable. Ils ne savent plus ce que c'est que de rester tranquille, de s'ennuyer, de demeurer seul avec soi-même, rien que le temps d'écouter un peu ce que le silence aurait à confier. Aux révélations solitaires, parfois impitoyables, ils préfèrent les déclamations au goût du jour. Évidemment, les entendre c'est les comprendre, et n'importe qui préfèrerait n'importe quoi plutôt qu'un tête-à-tête du genre. On ne saurait leur en tenir rigueur : ils ingèrent la vie comme on leur a montré à le faire et ils attendent en vain que la réification consommable de l'univers entier satisfasse leurs manques de petits garçons et de petites filles. De spectacle en spectacle, d'abonnement en abonnement, d'émission en émission, de prescription en prescription, de console en console, de sensation en sensation, de voyage en voyage, de technologie en technologie, ils errent sur les routes de l'usufruit, grignotent les idées-pubs du temps et se posent en porte-parole d'une libre-pensée de l'ultravide. Suspendus à leur Moi gonflé à l'individualisme-mode-sois-toi-même, ils se fourvoient dans un ciel sans étoiles où ils arrivent à être eux-mêmes, juste eux-mêmes, rien qu'eux-mêmes. Quand d'aventure le désert où ils se sont perdus leur brûle un peu la peau, ils boivent à grandes gorgées à la source d'autres inanités à succès, où les gourous (religions) et les médecins (prescriptions) prennent la même place qu'occupaient sur le podium de leur vision du monde les marchands avant leur prise de conscience. Car ils sont incapables de reprendre réellement, pas même conscience, ce qui leur a été dérobé depuis trop longtemps.

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