vendredi 28 mai 2010

Beati pauperes spiritu

  
Est-ce que ça vous arrive d’être tanné ? Pas tanné juste un peu, comme on l’est quand on voit que nos « élus » jouent impunément à suce-moi-le-mien-je-te-sucerai-le-tien-en-temps-et-lieux et que RIEN ne se passe, ou comme on se sent quand on réalise que des centaines de millions de dollars ont été dépensés pour un vaccin contre un virus qui n’a finalement tué que quelques centenaires triple pontage, quadruple cancer et que RIEN ne se passe, non, pas tanné en passant, tanné pour de vrai. Écœuré, fatigué, brûlé, tanné quoi !
 
Moi, ça m’arrive souvent. Je ne sais pas si c’est parce que j’aime lire autre chose que les journaux qui ne répètent que les mêmes choses ad nauseam, ou parce que j’ai chopé une lucidité morbide étant enfant ou enfin parce que recevoir une montre en or à ma retraite m’intéresse autant que de me retrouver en cellule avec un ex-lutteur de 300 livres en manque de sexe ou lire l’opinion frelatée de Richard Martineau, mais des fois, je suis vraiment tanné.

Des fois, je me vois comme une petite fourmi qui passe sa vie à déplacer des grains de sable d’une place à l’autre, d’un Wal Mart à chez-nous, de chez-nous à « toutes les bonnes librairies ». Des fois, je me sens comme dans la pièce En attendant Godot de Beckett, je suis assis sous le même arbre, année après année, et il y a de moins en moins de feuilles, de plus en plus de branches mortes.

Parfois, assis devant la télévision, regardant le 22e épisode de 24 heures saison 6 ou une partie du Canadien ou une émission de variété avariée ou un reportage qui ne rapporte que l’opinion de la mode du temps, j’ai envie de vomir. Ce n’est pas une figure de style, ça me dégoûte. En un instant, je reviens à moi. Et j’ai envie de crier. Remarquez que problème pour problème, je préfère cette envie de crier au besoin d’agiter une grosse main en mousse quand un millionnaire au QI de 80 pousse un bout de caoutchouc derrière un secondaire trois faible tout autant millionnaire ou à l’inertie d’intelligence que nécessite le suivi d’une série télévisée et la mise à mort du cerveau obligatoire pour trouver enrichissant Enquête ou La Facture.

Peut-être que j’ai besoin de médication ou d’une bonne lobotomie manquée, comme dans Vol au-dessus d’un nid de coucous. Serais-je plus heureux les yeux livides, la bave qui coule à la commissure des lèvres ? Peut-être. Mais je n’arrive pas à me rendre à la norme, à abdiquer devant la formule de vie en poudre, à m’avouer vaincu par le temps, les us, les « c’est comme ça ». J'ai eu quarante ans et quelque chose en moi m’empêche de devenir tout à fait un Éloï.*

* Dans La machine à explorer le temps, d’H.G. Wells, les Éloïs sont les descendants des humains de l’an 802 701. Ils ne font que jouer et manger et ont la certitude d’être heureux, quand ils ne sont que la nourriture des Morlocks qui les dévorent la nuit.

4 commentaires:

  1. Ça va passer.

    Vous faudrait-il une bonne maladie, une bonne frousse, pour trouver extraordinaire cet ennui que vous décrivez?

    L'ennui est un luxe dont peu de gens peuvent profiter.

    Me voilà moralisateur, désolé!

    Accent Grave

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  2. Mon cher Accent Grave,

    Ne soyez pas désolé, vous avez le droit de dire ce que vous pensez, d'autant plus que c'est pertinent. Cependant, je dois vous avouer que j'ai peu de temps pour m'ennuyer et que j'ai la nostalgie d'une certaine époque où j'avais beaucoup plus de temps. Je dirais même que je suis un spécialiste de l'ennui paisible et du bonheur de la farniente. Mais j'ai aussi un dégoût viscéral de cette stagnation qui s'insère partout, de cette prolifération d'actions continuelles qui ne mènent nulle part. Il se peut néanmoins que cela soit dans l'œil de celui qui regarde (le mien !). Quant au peu de gens qui peuvent profiter du luxe de l'ennui, il faudrait voir de quoi leurs agendas sont si garnis... Et on le sait un peu, n'est-ce pas ?

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  3. Bien, c'est certain que mon commentaire arrive longtemps après la publication originale...
    Loin de partager la mentalité générale qui accepte tout et aussi rien, cela me désole de voir la bétise humaine qui se répand comme une nappe de pétrole de l'Alberta ou d'ailleurs...
    Et oui, je me dis qu'être le roi des crétins a ses avantages et que d'avoir plus que 2 neurones n'est pas toujours un plus.

    Courage, vous n'êtes pas seul à vous désoler.

    Nemo au Québec (sans Nautilus pour être libre sous les eaux)

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  4. Merci Nemo, un bon commentaire est toujours encourageant.

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