vendredi 6 mai 2011

Toi y en a vouloir des sous, toi y en a faire plus de menhirs (réponse au texte "Non au mécénat public" de Nathalie Elgrably-Levy

Madame,

J'ai eu l'occasion de lire votre texte paru dans le Journal de Montréal du 5 mai 2011 et, je dois l'avouer, il m'a fait sourire. Loin de moi l'idée de vous juger personnellement sur ces quelques lignes, mais force est d'admettre que cela donne un aperçu de qui vous êtes et, surtout, de qui vous appuiera dans vos propos. On connait la chanson et il n'y a pas là de quoi fouetter un artiste. D'idée reçue en lieu commun, vous déclinez vos convictions qui n'offrent rien de bien nouveau, si ce n'est qu'un gouvernement majoritaire qui a les mêmes est désormais en place. En outre, vous cumulez en quelques lignes faussetés et stéréotypes.

Tout d'abord, sachez que le gouvernement ne peut être « mécène », car le « mécénat », par définition, fait référence à des particuliers ou des entreprises qui supportent financièrement des créateurs. Quand on parle d'une aide gouvernementale, il faut utiliser le terme « subventionnaire », qui n'a rien à voir avec Caius Cilnius Mæcenas, protecteur romain des arts et des lettres. Si cela est pour vous un grand flou qui revient au même, sachez qu’il s’agit là en réalité d’une différence fondamentale que je devais relever.

Vous affirmez d’entrée de jeu que « certains crient au scandale, d'autres traitent d'inculte quiconque ne partage pas leur indignation. Ils font appel à l'émotion, mais qu'en est-il de la raison ? ». Je m’oppose tout de suite. Appeler un chat un chat n’est pas faire appel à l’émotion. Un inculte est un inculte, quoi que vous en pensiez, et quand bien même il serait de votre avis.

Vous continuez en affirmant que la culture est une production comme les autres, comparant même un écrivain et un mécanicien. Vous vous parodiez ainsi en Caius Saugrenus, ce grotesque parvenu qui nous a fait bien rire dans Obélix et compagnie : « Toi y en a vouloir des sous, toi y en à faire plus de menhirs ». Mais voilà, un livre (ou toute création artistique) n’est en général pas un menhir ni un changement d’huile. Sauf mon respect pour les mécaniciens (et je salue mon ami Steve au passage), aucun changement de cardan ne sera jamais la Comédie humaine, ni une réparation de différentiel Ainsi parlait Zarathoustra. Je ne donne pas ces exemples au hasard, Balzac et Nietzsche ayant connu, comme bien d’autres, la vie créatrice de misère. Aujourd’hui pourtant, ces œuvres sont admirées par le nombre, et le fait que vous ne les connaissiez pas ne change rien à l’affaire.

Vous conviendrez avec moi qu’il est assez facile de juger des talents d’un mécanicien. J’en ai connu de mauvais (ma voiture fonctionnait mal) et d’excellents (ma voiture fonctionnait bien). Avec votre principe de l’offre et de la demande, les premiers finissent à juste titre par faire autre chose. Mais il est plus délicat de juger de la qualité d’une œuvre d’art. Les yeux et les oreilles les plus habituées se trompent souvent au premier abord, et l’histoire de l’art en est un témoignage continuel. Subventionner les artistes, c’est assumer que l’art n’est souvent évaluable que dans la durée et que d’un présumé sans talent qui selon vous devrait faire autre chose, le temps fera un Van Gogh. Par ailleurs, a-t-on déjà vu un mécanicien prêt à crever de faim pour continuer à réparer des voitures ?

Ainsi, vous glissez trop rapidement sur la première raison qui fait, selon vous, qu’un artiste vit dans la misère : « La première est que son talent n'est peut-être pas en demande. » Mais, madame, à la lumière de ce que je viens d’écrire, cela est de la plus haute importance ! Les artistes ne peuvent pas tous faire ce qui est en demande, ce serait trop triste. De plus, les artistes finissent parfois par être en demande après plusieurs années de travail dans l’ombre et la misère (on pense à Robert Lepage, dont les débuts ont été selon ses dires très difficiles, malgré les subventions). Quant aux artistes inconnus et miséreux, qui sait ce que deviendront leurs œuvres un jour (quand nous serons morts, et c’est encore une fois le pari du temps) ? Est-ce à dire que le gouvernement doit donner de l’argent à tous les artistes inconditionnellement ? Bien sûr que non, mais ce n’est pas ce qui se fait. À ma connaissance, toute subvention reçue par un artiste est le fruit d’un travail sérieux qui implique la présentation d’un dossier complet jugé par des comités formés de gens dont la crédibilité est bien établie. Une simple visite sur le site du Conseil des Arts du Canada vous confirmera ce fait. Cela ne veut pas dire qu’aucun dollar n’est perdu dans le processus, mais le risque a donné de si belles œuvres au fil des ans qu’il faudrait être bien conservateur pour ne pas l’assumer.

Enfin, vous terminez en proposant d’abolir les taxes sur les produits culturels, et là, je suis d’accord avec vous. Mais je ne peux m’empêcher de voir une énorme contradiction dans votre discours : si une création artistique vaut un changement d’huile, si « les artistes ne devraient pas être une classe à part », je ne vois pas pourquoi ce qu’ils produisent devrait être exempté de taxes. Un gâteau Vachon ? TPS et TVQ ! Ficelle de Riopelle ? TPS et TVQ ! Une rotation de pneus ? TPS et TVQ ! Le Passage obligé de Michel Tremblay ? TPS et TVQ !

Vous voyez le non-sens… Et votre contradiction montre malgré vous qu’un poème, une toile ou une symphonie ne sont pas des produits comme les autres, ni les artistes des vendeurs de bébelles qui doivent se soumettre à l’économie de marché des petits maîtres.

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