lundi 13 juin 2011

Mi-temps

J’ai 41 ans. Le « 1 » compte peu, c’est le « 40 » qui importe.

Ma mère dit que c’est jeune, que la quarantaine est la plus belle période de la vie. Quand elle avait 40 ans, je devais avoir 8 ou 9 ans. Mes frères et sœurs avaient 14, 15, 16, 17,18 et 19 ans… Elle avait enfin du temps pour elle et cela explique un peu son idée sur le sujet.

Mes enfants, quant à eux, trouvent que 41 ans, c’est vieux, très vieux même. À 15 ans, avoir 30 ans est aussi loin que 60 pour le trentenaire. Alors 40, c’est l’âge d’or de la trentaine. 50, la préhistoire… Quand j’avais 10 ans, en 1980, je savais que j’aurais 30 ans en l’an 2000. C’était le futur, un avenir si lointain que nous nous imaginions dans nos voitures volantes et nos maisons entretenues par des robots, vous vous rappelez ? Mais, à mon souvenir, nous n’imaginions pas que nous serions vieux. Nous serions des enfants, les mêmes que nous étions alors, mais avec 20 ans de plus.

Avec le recul, je me dis que nous ne nous trompions guère. Si j’ai grandi, acquis quelques connaissances, une certaine expérience, je suis encore malgré tout ce petit garçon de 10 ans dans un corps de 41 ans. Ainsi, je m’étonne chaque jour de ces cheveux qui tombent sur le devant du crâne (et ils le font sans que je m’en rende compte, les hypocrites !), de ces mains dont la peau reprend moins facilement sa place quand on la pince, de ce dos plus fragile, de ces muscles qui se ramollissent dès que j’arrête la marche et le vélo quelques jours, de ce léger fond de fatigue, encore très supportable, mais bien présent, comme les premiers ronronnements automnaux d’un calorifère qui annoncent les grands froids d’hiver.

50 ans, me disait mon frère André qui a exactement 10 ans de plus que moi, c’est l’âge des petits bobos. Il est super en forme le frérot, sportif depuis toujours, mais il se lève chaque matin avec un « petit trouble » quelconque, bien supportable lui aussi, mais bien réel. À 50 ans, me disais-je, on ne peut plus faire semblant d’avoir 40. À 40, il faut beaucoup d’effort pour se sentir comme à 30. Mais le mensonge coûte cher. Un exemple ? Je n’ai dormi toute ma vie adulte que quelques heures par nuit, 5, 6 ou parfois 7, quand je faisais la grasse matinée. J’ai fait ma thèse en étudiant jusqu’à 2 heures du matin et en me levant avec les enfants, à 6 ou 7 heures. Aujourd’hui, ce ne m’est plus possible : avec 5 heures de sommeil dans le corps, je n’ai même plus d’arguments contre les labeaumités. C’est dire !

Ai-je vu tout ce temps passer ? Pas autant que je l’aurais voulu. Les responsabilités, la rapidité du monde contemporain, l’agenda adulte m’auront trop souvent fait oublier de saisir le jour. Ici encore, les poètes ont raison : « La vie t’a bouffé comme elle bouffe tout le monde… » Peut-être un peu. « Les poings montent moins haut… » Aussi. « Avec le temps tout s’en va… » Incontestablement. C’est sans doute ces absences temporelles, ces vides de sablier, qui font que 10 années passées m’apparaissent, quand je jette un regard en arrière, comme quelques ans à peine. Et le vieux cliché selon lequel le temps passe plus vite en vieillissant s’avère indubitablement exact. J’ai de moins en moins, comme aux jours de mon enfance, de moments où le temps semble s’être arrêté : courte fin d’après-midi, après l’école et avant le souper, à glisser sur la neige de la « côte Racine », qui semblait être éternité; expédition matinale sur la petite rivière près du chalet qui prenait des airs de grande exploration. Même la lecture, ma grande passion, avait alors l’intensité de longues et solitaires escales que je ne retrouve que rarement aujourd’hui.

Suis-je vieux ? Je ne sais pas. Théoriquement, j’en suis à la mi-temps d’une vie d’homme. J’ai certes oublié et vécu dans l’inconscience mes 5 ou 8 premières années d’existence, mais il est fort probable que les 5 ou 8 dernières seront aussi inconsistantes. Donc, milieu de la deuxième période. J’ai fait beaucoup de buts, de passes et d’arrêts dans la première moitié de la partie. Il est peut-être temps d’aller un peu sur le banc, ou même dans les estrades, histoire de regarder attentivement et passionnément le chronomètre écouler les milliers de secondes restantes.

2 commentaires:

  1. Superbe! Tu tires en plain dans le mille!
    Mais ou sont donc passees mes 20 dernieres annees?

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  2. Cher Guy, tu me sembles bien nostalgique. Mais je comprends. Depuis quelques années, pour mieux saisir le temps, je m'oblige chaque jour à être attentive à mes 5 sens lors de ma marche matinale. Chacun son tour, un sens à la fois, je perçois les messages et les sensations agréables ou non. C'est comme avancer avec la caméra à l'épaule: on accède à un autre niveau. Dans ces moments, la conscience de la vie et du temps s'élève à un point tel que ça m'émeut. Et tout se dédrammatise. Le temps a du pouvoir sur le corps, mais l'esprit reste alerte si on le nourrit. Au risque de paraître "grano", nommer le nom des plantes sauvages, des oiseaux et des arbres qui jalonnent ma promenade alimente ma curiosité surtout quand je rencontre une essence inconnue ou un chant nouveau. Alors je me dis que lors d'une simple marche, j'aurai ralenti le temps en savourant les minutes.

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