J’aimerais bien que cessent mes brûlements d’estomac. Je
sais que modifier mon alimentation pourrait aider. Couper les cretons au déjeuner,
par exemple. Faire du yoga. Arrêter de fumer, tiens. Mais, surtout, arrêter de
lire ce que disent les perroquets de la drédrette, car plutôt que de me mettre le
feu où vous savez, c’est dans l’estomac que ça se passe.
Je n’y peux rien, je ne digère pas leur pseudo pensée
libertarienne, leurs arguments d’économiste de caisse populaire, leur espoir
d’être un jour dans le 1 % des maîtres, quand on sait bien qu’ils seront
toujours dans la middle class of poverty,
comme disait l’autre.
Remarquez, les défenseurs de l’inégalité sociale ne sont
jamais ceux qu’on penserait : les riches, les vrais, ceux qui ont le
pouvoir et l’argent du pouvoir, le beurre et l’argent du beurre avec lequel ils
achètent encore plus de beurre. Ceux-là se taisent, jouent au golf, donnent des
hormones à leur poule aux œufs d’or et font de l’argent. Indécents et
silencieux.
Non, ce sont les autres qui parlent le plus et se
posent en chiens de garde : les prolétaires qui rêvent de la paye du patron,
les salariés qui aiment le bruit du « punch », les employés qui vont
aux Remparts en rêvant aux Antilles, les petits entrepreneurs qui ont du succès
de moyens entrepreneurs, les demi-éduqués plein temps qui brandissent leurs diplômes
achetés chèrement à l’université, les syndiqués bord en bord qui défèquent sur
les syndicats, les rebelles repentis au salaire presque minimum, les contents
de se faire fourrer, les heureux d’être à genoux.
Le vrai riche doit rire dans sa barbe quand il les entend
dire que c’est normal que le patron fasse plus d’argent que l’employé qui n’a
pas eu l’idée de l’entreprise, qui n’a pas pris les risques. Il doit trouver
que la machine est vraiment bien huilée, tellement que ça coule de partout.
Plus d’argent, vous dites?
Oui, il doit s'amuser, le vrai riche, quand il pense à son
père qui lui a tout légué ou à sa prime de rendement mensuelle plus élevée que
le salaire annuel de l’employé sur le point de prendre sa retraite après
quarante ans de loyaux services à l’entreprise. Il doit se dire qu’il est
chanceux de vivre dans une société qui a développé le goût du travail d’une
façon si habile qu’on ne sent plus les chaînes, un troupeau qui n’a plus besoin
de chien berger quand les moutons se dévorent entre eux.
Il doit s’esclaffer quand il les entend défendre corps et
âme un capitalisme agonisant dont il a extrait, avec ses amis du club, tout le
jus. Et ils en redemandent.
Il doit exulter en les entendant déclamer sur l’urgence de
se serrer la ceinture, de compresser, de couper, de gérer serré, de budgéter
sans pitié, quand il reçoit ses subventions à neuf zéros.
Il doit ricaner en voyant les enragés de la classe moyenne
mordre les pauvres sous prétexte qu’ils payent trop d’impôt, comme un chien qui
mord le chat parce que son maître le bat.
Il doit pouffer quand il entend ces figurants défendre la
machine comme s’ils étaient au volant, quand ils n’en sont que les rouages.
Bien huilés, oui.
Moi, les entendre ne me fait pas rire, ça me donne des
brûlements d’estomac.
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