mardi 15 janvier 2013

Au chevet de ma mère


Assis dans la chambre d’hôpital auprès de ma mère qui combat depuis plus d’un an un cancer tenace, je prends le pouls de mes peurs.

La philosophie ne m’est utile qu’en partie, dans une vision absolue qui n’arrive pas à intégrer le moment actuel : nous allons tous mourir, soit, mais là, c’est de ma mère qu'il s’agit, celle qui m’a ouvert les bras quand je pleurais étant enfant, le genou écorché ou la gastro au ventre.

Mes pensées s’accumulent et je me dis que peut-être la foi serait bénéfique, qu’une croyance en un Dieu avec une majuscule me porterait plus loin que la consolation abstraite des philosophes que j’aime et qui m’ont sauvé du désespoir maintes fois. Mais ce que je vois dans cette chambre, la souffrance et la perte de dignité, n’est à mes yeux d’athée qu’une raison de plus de ne pas croire, du moins pas à un être plein de bonté qui puisse nous sauver. Nous sauver de quoi, d’ailleurs, quand on a tout perdu comme ma pauvre mère ?


Je prends une grande inspiration et d’autres images viennent : celles de moi-même étendu dans ce lit, mes enfants autour de moi, combattant leur peine pour me sourire sans espoir, affrontant terrifiés leurs propres images d’eux-mêmes couchés à ma place. Leurs enfants près d’eux. L’Ouroboros morbide qui se dévore la queue dans la plus sinistre des danses.


Je respire à nouveau. Et voilà que vient une certaine consolation. La vie de ma mère, bien remplie, aimant plus que tout son mari, ses sept enfants et ses dix-huit petits-enfants. Aimée aussi d’eux, quoique cela ait moins d’importance, car toutes les sagesses du monde le disent : il est agréable d’être aimé, mais rien n’est plus important que d’aimer et d’avoir aimé.


La voilà qui ouvre les yeux, sortie d’un sommeil agité par la douleur et la peur. Un sourire s’esquisse quand elle m’aperçoit. Et je vois encore une fois, pour la millionième, tout l’amour qu’elle me porte. Ses yeux s’illuminent quand je lui souris et pose ma main sur la sienne. Elle ne dit rien, mais j’entends sa voix qui murmure comme un adieu : « Aime, mon fils ! Aime à la folie, aime tout, aime ceux qui sont difficiles à aimer, aime autant que ton cœur te le permet! Là où je me tiens, il ne reste rien d’autre. Et c’est beaucoup, et c’est tout. »


J’ai encore peur. Sa souffrance qui perdure me terrifie encore. Mais je tiens enfin quelque chose pour m’aider à affronter ce qui vient assurément pour elle, pour moi, pour les miens : une arme terrible et intemporelle contre la fragilité de la vie, un bouclier léger et indestructible pour contrer la peine et la souffrance.


J’espère être près d’elle quand elle mourra. Je lui tiendrai la main en souhaitant que l’amour qu’elle a su donner à tous ceux qui l’ont fréquentée puisse inspirer à mon cœur pareille ouverture. Je garderai comme un précieux trésor ce regard qu’elle a posé sur moi et le ressortirai quand la vie tentera de me convaincre qu’il n’y a rien de valable. Et je clamerai tout haut : il y a quelque chose. Ma mère, Armelle Béchard, en est la preuve. Quoi qu’on m’enlève, quoi qu’il arrive, peu importe les doutes et les blessures, je peux aimer comme elle a aimé.

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