lundi 14 mai 2012

Homo Economicus - Première partie


L’histoire de ces quinze ou vingt dernières années a vu croître la population d’Homo Economicus d’une façon spectaculaire. Évidemment, la naissance de la race remonte à la nuit des temps, sans doute quand les humains ont commencé à se sédentariser et que les premiers greniers ont nécessité la tenue de comptes. L’appât du gain étant naturel et inné chez lui, il n’est pas surprenant qu’on l’ait vu traîner du côté du grain.

C’est tout récemment, cependant, qu’Homo Economicus est devenu une force telle que tous les petits et grands de ce monde en ont fait non seulement l’exemple à suivre, mais aussi le maître à penser, ou plutôt devrait-on dire le maître à compter. Ce ne sera pas la première fois que les moutons se tiennent près du berger, surtout quand celui-ci, armé de son bâton, leur montre au loin l’ombre du loup. On verra ainsi attirés par son évangile du capital, tous les rêveurs-d’être-riches qui n’ont pas le temps de se questionner sur le bien-fondé de son pouvoir, trop occupés qu’ils sont à travailler pour lui et ses acolytes dans l’espoir toujours reporté d’un jour lui ressembler. Aussi, tous ceux que cette Bonne Nouvelle aura servis demeureront à jamais ses plus fervents défenseurs. 

La plus grande force d’Homo Economicus est sans aucun doute, mise à part sa prodigieuse capacité à faire de l’argent, son aptitude à récupérer toute information disponible pour appuyer sa vision qui est fort simple : l’économie est un dogme infaillible qu’il faut respecter, faute de quoi nous serons tous damnés, c’est-à-dire écrasés par ceux, individus ou nations, qui respectent ce dogme. Ainsi, comme au temps de l’hégémonie cléricale qui validait le monde et toutes ses manifestations par Dieu, toutes les questions que se posent désormais les humains peuvent et doivent être envisagées d’un point de vue économique. Les nouveaux prêtres exercent un pouvoir aussi puissant que les anciens et quiconque ose se lever devant eux, voire seulement les questionner sur le bien-fondé de leur idéologie, se voit aussitôt discrédité et, dans les cas récalcitrants, anathémisé. Les « païens », « idolâtres », « infidèles » et « mécréants » d’autrefois sont aujourd’hui des « gauchistes », « communistes », « socialistes » et « anarchistes ». Ils ont tous en communs de s’opposer d’une façon ou d’une autre à l’évangile du temps qu’il faudrait selon les maîtres croire sur parole. La leur, bien évidemment, qui les maintient tout en haut de leur système car ils ont travaillé très fort et méritent d'avoir tout ce qui existe pour leur usage, et même plus.

Par ailleurs, la logique et le gros bon sens ne sont pas utiles contre ces clergés anciens et nouveaux. Jadis, tout questionnement sur les sacro-saints principes admis par l’Église était balayé du revers de la main par une seule réponse : la foi. De nos jours, c’est la loi du marché qui fait foi de tout. Quand bien même ce système qu’ils honorent et révèrent se serait avéré désastreux et inhumain, ils auront un alibi pour le disculper. De croisades en inquisitions, les anciens maîtres avaient une explication qui allait avec la volonté divine. De faillites nationales en clivages de plus en plus marqués entre très riches et les autres, les nouveaux maîtres ont une justification économique à ajouter sur la pile déjà haute de leurs croyances. L’objectif ultime étant sans doute que nous ne sachions plus imaginer d’autres réponses que celles qu’ils veulent bien nous donner. Pire encore, et c’est déjà souvent le cas : qu’il n’y ait plus de questions.

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